Les dieux assassinés,

Roger BASTIDE,

un article paru dans la revue Lumière et Vie, en son numéro 101, en janvier-mars 1971, pp. 78-88.

La revue Lumière et vie avait publié en 1971 une contribution de Roger Bastide qui évoque le bouc émissaire

Le texte commence ainsi :

On trouve chez les historiens de la religion et les ethnologues deux conceptions différentes sur les dieux qui meurent et ressuscitent.

D’abord celles de Frazer. Nul plus que lui n’a insisté, dans le Rameau d’or, sur les divinités de la végétation qui, comme elles, meurent en hiver pour reprendre vie au printemps, Osiris, Tammuz, Attis, Adonis, Demeter et Perséphone, Dionysos, dont la mort et la renaissance deviennent les symboles, à la l’intérieur des mystères ou des cultes initiatiques, d’une doctrine du salut et de l’immortalité.

Et se termine par ceci :

Nous pensons donc que l’archétype du déicide continue à fonctionner, en ce sens que certaines morts dramatiques tendent à reconstituer, à l’intérieur de la conscience collective, des significations archaïques : l’homme qui meurt ne meurt pas par hasard, il meurt pour le salut d’un peuple, ou d’un groupe – mais cet archétype est barré, il ne peut aboutir qu’à une commémoration laïque, non à un culte messianique. De Matsoua à Kennedy, on suit les étapes de la liquidation du déicide comme catégorie religieuse (Matsoua : laïque persécuté et mourant en déportation qui devient un messie religieux – Barberousse et Don Sébastien, tragiquement disparus, mais qui ne sont que des messies politiques – les grands leaders politiques de notre époque assassinés dont l’exaltation par la foule reste à mi-chemin entre une divination ratée et les conduites de deuil ordinaires, simplement transposés du privé au public).

Il y est question, relativement à l’occurrence « bouc émissaire » :

Il a lié la passion du Christ à l’ensemble de ces cultes, car souvent le dieu qui meurt peut servir de bouc émissaire sur lequel on projette, avant de le tuer, les impuretés de la collectivité, ce qui serait le point de départ de l’idée du dieu, qui, en mourant, se charge des péchés du monde.

On y trouve aussi :

En particulier la mise à mort annuelle des prisonniers déguisés en dieux chez les Aztèques avait pour but non de créer des boucs émissaires, mais de rajeunir les divinités, de renouveler leur mana. Et il ajoute qu’il est possible que le sacrifice d’êtres divinisés accompli pour le salut du cosmos ait contribué à l’idée que l’univers ait été primitivement créé avec le corps des dieux immolés .

Et encore :

Pour remédier à la situation d’impureté dans laquelle l’inceste a plongé le monde, dieu-Amma sacrifie au ciel l’un des deux jumeaux, le démembre, en jette les morceaux aux quatre points cardinaux, purifiant la terre et la rendant apte à la vie. Amma ressuscitera ensuite Nommo et, avec son placenta, construira une arche rectangulaire dont descendront les premiers ancêtres des hommes, en même temps que la lumière solaire naîtra et que la pluie vivifiante tombera sur la terre purifiée, donc redevenue féconde [2]. Nous avons là un type de mythe dans lequel l’assassinat d’un dieu est le modèle ou l’archétype du sacrifice religieux.

Le résumé de l’article au sein de la revue :

L’histoire des religions manifeste que les mythes des dieux qui meurent et ressuscitent sont largement répandus mais revêtent aussi des significations fort différentes. Certains dieux d’Afrique, d’Océanie, de Nouvelle-Guinée subissent une mort qui est créatrice d’un surplus de nature et d’un complément de culture pour l’humanité. Comme dans le christianisme, on peut observer des cas où la mort tragique du dieu change le mode d’être de l’homme et devient une dimension constitutive de la condition humaine. Il faut cependant remarquer que ces morts s’opèrent au profit d’un passé révolu ou d’un présent qui répète cycliquement le passé. Dans les cultes messianiques africains, influencés par les missions chrétiennes, il apparaît que la résurrection ne fait pas de difficulté, contrairement à ce qui se passe chez nous, mais bien la notion même d’un Christ « mort pour le salut » et d’un sa-lut par grâce. La catégorie du déicide peut être considérée comme une donnée universelle de la pensée religieuse : c’est en elle que s’inscrit et se détache tout à la fois la mort du Christ. Pour terminer nous sommes invités à suivre les étapes de la liquidation de cette catégorie religieuse du déicide dans nos sociétés sécularisées

Un texte de Roger Bastide d’autant plus intéressant qu’il questionne la théorie de J-G Frazer relative au roi bouc émissaire.

Le texte complet :

  • Sur le site de l’UQAC ; ici
  • Sur le site de Claude Ravelet : ici